Interview avec Patrice Marchand, des Frères Marchand à la Serre Dubai

Interview Patrice Marchand Luxe Diary

La rédaction du Luxe Diary a eu l’immense plaisir d’assister à la soirée de dégustation de fromages affinés par les Frères Marchand qui a pris place à La Serre pour la deuxième fois le mois dernier. Pour lire cet article en anglais, cliquez ici.

Mais ce n’est pas tout, nous avons également eu la chance de rencontrer Patrice Marchand, Maitre Affineur de France, détenteur du record du monde du plus grand plateau de fromages, l’un des trois frères de la célèbre maison des Frères Marchand, une des plus vieilles familles françaises d’affineurs. Nous avons parlé de sa passion, de ses ambitions, de ses voyages et des choses qui lui tiennent à coeur.

Un article inédit, une discussion avec un spécialiste du fromage, pour les aficionados mais également pour tous ceux qui souhaiteraient tout simplement en savoir plus sur la tradition de l’affinage.

Notre première question va naturellement concerner l’entreprise des Frères Marchand, son histoire et celle de votre famille. Peut-on dire que c’est votre famille qui vous a transmis cette passion de la cuisine, du fromage?

Nous avons repris la succession de la famille qui est une famille de fromagers affineurs. Nous sommes les plus anciens affineurs généralistes de France. Le côté restauration c’est venu par la suite. La formation pour devenir maitre affineur est très longue: 40 ans d’éducation, 20 ans d’éducation du goût et du palais, et 20 ans pour aller plus loin dans le détail, savoir comment fabriquer, comment affiner. L’affineur est considéré comme un producteur en France car on change les fromages, on les transforme, on les prend blanc et on change leur goût, leur couleur. Nous avons dans nos caves 450 sortes de fromages différents sur toute l’année. Nous travaillons avec 200 petits producteurs, et nous prenons pour une grande majorité plus de 70% à 80% de leur production pour être sûrs que les fromages que nous aurons dans nos caves seront exactement comme nous le souhaitons.

Et vous alors?

Moi je suis parti étudier à l’école hôtelière de Lausanne, puis 12 années à l’étranger. Je me suis formé en Suisse mais j’ai également  travaillé en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis et au Luxembourg. Le dernier poste que j’ai occupé était à la restauration du Parlement Européen au Luxembourg. 

Comment en êtes-vous arrivés à cette entreprise des Frères Marchand?

Il y a 20 ans mes frères m’ont annoncé qu’ils comptaient racheter la société de notre père et m’ont proposé de venir avec eux, me laissant une demi-heure pour faire mon choix. J’ai pris ma décision en quelques minutes et j’ai décidé de rester avec mes frères. Par la suite, nous avons développé des restaurants principalement de fromages. Nous avons décidé de changer de nom, de Maison Marchand nous sommes devenus les Frères Marchand.

C’est un métier passion pour vous?

Oui évidemment, notamment car il demande énormément d’investissement : je suis occupé 7/7 jours, de 5h du matin à 1h du matin. Je dis « occupé » car je n’ai pas l’impression de travailler. Je ne fais que transmettre ce que mes parents m’ont inculqué, l’histoire de ma famille, la valeur des petits producteurs.

Et quelles sont ces valeurs, cette éducation dont vous parlez? Vous pourriez m’en dire plus?

Lorsque je suis arrivé à Dubaï il y a quatre ans, on était alors sur un marché qui ne connaissait et ne consommait que du fromage industriel et pasteurisé. Lorsque j’arrivais quelque part avec Alexandra, notre ambassadrice ici à Dubaï, lorsque je discutais avec des chefs, la question qui revenait le plus souvent était : « pourquoi le brie que j’achète à tel endroit vaut beaucoup moins cher que le votre? » et la conclusion était alors la suivante : « c’est pareil, donc je vais acheter le moins cher ». On parle ici de quatre années d’éducation pour comprendre que ce sont deux produits complètement différents : un industriel et un petit producteur, un produit affiné dans nos caves et un produit qui sort d’une usine de production qui n’a pas l’aspect unique de nos produits. Et même quand le chef s’y connaissait bien, le problème venait alors des clients qui, eux, n’allaient pas connaitre et apprécier cette différence.

Et quelle est cette différence justement?

Un fromage pasteurisé c’est un fromage avec un lait qui est mort. A l’opposé le lait cru est vivant, il respire, il se transforme en fromage qui lui-même continue à se transformer par la suite. Nous sommes une petite niche de produits de luxe, et quoi qu’il arrive, je ne vendrai jamais autant qu’un industriel, je n’ai pas la production pour. Ce qui m’importe c’est de défendre les petits producteurs avec lesquels on travaille. Sans producteurs je n’ai pas de fromage et sans fromage je ne suis pas là.

Parlez-moi de ces producteurs…

Le plus important en effet ce sont eux, les petits producteurs. Et nous nous sommes toujours efforcés d’avoir les meilleures relations possibles avec eux, afin de toujours avoir le meilleur des produits. Par exemple, en juillet 2016, nous avons demandé aux 200 producteurs avec lesquels nous travaillons d’augmenter leurs prix de 10% pour qu’ils puissent vivre, car nous en avions perdu cinq au cours des six derniers mois. Nous avons également investi dans le matériel de certains producteurs. C’est un travail très rude, de tous les jours, du matin au soir, et sans vacances. Je me rappelle de ce jeune couple de producteurs de reblochon, qui reprenait la production des parents, et qui au mois d’avril devait monter en alpage, à 2500 mètres d’altitude, avec toute l’unité de production afin de faire le fromage directement sur place, et couper l’herbe de toutes les montagnes aux alentours pour que les vaches mangent la même qualité d’herbe en hiver. Et au Abu Dhabi Gourmet Show, le chef du Emirates Palace est venu nous voir, c’est un passionné des fromages. Il me dit que son fromage préféré est le reblochon, nous étions au mois de janvier donc  à la mauvaise saison. Il m’en restait par chance un morceau. Je lui ai fait goûter, il a fermé les yeux et m’a dit « c’est le meilleur reblochon de ma vie ». Le lendemain matin j’ai téléphoné aux producteurs pour leur raconter, et ils étaient aux anges. Tout est en fait une question d’émotions.

Et Dubaï alors, pourriez-vous m’en dire plus à ce propos, pourquoi avoir décidé de venir ici?

Avec mes frères, nous avons décidé dans notre développement à l’export, de ne s’attacher qu’à certaines villes. On ne peut pas fournir le monde entier. On est surtout dans l’éducation, dans l’explication, exactement comme la soirée à la Serre demain soir (le 22 septembre). C’est une nouveauté sur Dubaï, avec mes frères, nous avons créé il y a trois ans The Gourmet Cheese Club by Les Frères Marchand.

Nous l’installons dans toutes les grandes villes dans lesquelles nous sommes implantés : Tokyo, Hong Kong, Bangkok, Berlin, Paris, Nancy, et le Gourmet Cheese Club qui va s’implanter à Dubaï sera à La Serre. Je n’ai jamais voulu mettre notre club dans une ville ou un endroit tant que je n’avais pas en face de moi des gens réellement passionnés.

Pourquoi Dubaï? Le coup de chance c’est qu’Alexandra soit ici à Dubaï, que je connais personnellement depuis de longues années. Je voulais vraiment avoir quelqu’un qui soit mon relais de connaissances, mon relais d’éducation. Et ma cousine s’occupait de la chambre de commerce de la région Lorraine ici à  Dubaï. Elle a organisé un voyage avec des entreprises et j’y ai participé. C’est à ce moment que je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai potentiel. Nous avons alors commencé à mettre quelque chose en place. Cela fait quatre ans que je viens entre cinq et sept fois par an. Le succès d’une maison comme la nôtre à l’étranger va passer par des entreprises comme La Serre, qui va véritablement défendre le bon et le vrai produit. C’est une vraie valeur d’entreprise et je retrouve les valeurs de mon entreprise au sein des produits que La Serre achète.

Vous détenez le record du monde de plus grand plateau de fromages. Pouvez-vous me raconter cette aventure?

En effet nous sommes dans le Guinness World Record 2018. Cela vient de l’idée folle de mon frère Philippe. Mon père avait déjà battu le record du plus grand plateau de fromages français. Philippe est venu me voir l’année dernière en me disant « on va faire un record du monde ». Je lui ai dit « si c’est sportif non (rires) ». Il me propose alors de faire le plus grand plateau de fromages au monde. L’ancien record était détenu par un Français, avec 330 sortes de fromage. Facile, nous en avons 450. Ce dont on s’est rendu compte tout de suite après, c’est que nous avions certes 450 sortes de fromages, mais qu’ils étaient saisonniers, par conséquent nous ne pouvions pas les avoir tous au même moment.

Nous avons alors fait appel au Guinness en leur disant que nous souhaitions battre ce record, ce à quoi ils nous répondent que le nouveau record est de 489 fromages, détenu par des Chinois. Nous avons tout de même décidé de relever le défi, mais pas seulement. Nous avons aussi décidé de le faire avec uniquement des fromages de petits producteurs à 95% et au lait cru. C’était un vrai challenge sur la qualité et pas uniquement sur la quantité. L’idée c’était aussi de présenter des fromages entiers, qui n’étaient pas pré-coupés, pour que les gens puissent se rendre réellement compte de ce qu’est un fromage. Cela fait partie de l’éducation, on est tellement habitués à voir des fromages sous blister au supermarché, déjà tranchés, qu’on arrive pas à voir la couleur, la taille… Lors de la présentation du plateau au public, nous espérions avoir 2000 personnes. Il y en a eu 30 000.

J’ai vu mon père avec les larmes aux yeux pendant trois jours, il était à la sortie et tout le monde venait ui serrer la main pour lui dire merci. « Je ne pensais pas qu’on pouvait donner autant d’émotions avec le fromage » m’a dit mon père. Lui n’avait jamais vu les étoiles dans les yeux des gens à travers le monde comme j’ai pu le voir durant mes nombreux voyages. Cela a duré trois jours et il y a eu entre cinquante et cent mètres de queue. Nous l’avons voulu gratuit parce que nous voulions vraiment être sur l’éducation. Nous avons donné plus de la moitié du plateau à la banque alimentaire, nous avions cette volonté de partager ce que nous présentions à des gens qui n’avaient pas les moyens d’acheter notre type de fromage car ce sont des produits luxueux. Cela a engendré plus de 500 articles et reportages dans le monde entier.

Et le plateau en lui-même alors?

Nous avions plus de 500 producteurs avec nous pour ce record, venant du monde entier, de Thaïlande, du Japon, d’Australie… Nous a présenté 730 sortes de fromages différentes, il y avait 2124 pièces sur le plateau, ce qui correspond à environ cinq tonnes de fromage, une tente de cinquante mètres de long, un semi remorque qui envoyait de l’air à -25°C pour avoir une température constante de 6 à 8°C sous la tente, et il faisait 28°C à ce moment là. Juste après j’ai fait une tournée qui a duré trois mois pour le présenter de Dubaï à Tokyo, mon premier stop était Dubai, le premier chef de cuisine était Stéphane Cocu à qui j’ai donné une planche issue du record. Nous étions tous les deux honorés de nous rencontrer mutuellement. La Serre et Stéphane Cocu ont fait que j’ai eu envie de travailler ici car comme je vous l’ai déjà dit auparavant, j’ai vu tout de suite des gens véritablement passionnés par le fromage.

Cette soirée de dégustation que vous organisez demain, que pouvez-vous m’en dire?

Demain cela sera une expérience culinaire d’un autre type. Lorsque l’on va dans un restaurant, on mange un plat principal dans lequel il y aura cinq saveurs tout au plus, au delà de 5 c’est trop et tout se mélange. Demain soir il y aura 40 saveurs, 40 gouts différents, et c’est là tout l’intérêt de l’expérience. Il faut suivre le cheminement de dégustation : on commence par les chèvres, ensuite tout ce qui est croûtes fleuries (camemberts, bries), puis viennent les fromages de montagne, les pâtes dures, suivent les fromages de caractère (Münster), et on termine par les bleus. Si on commence par le bleu la dégustation s’annule complètement. Cela fait partie de l’éducation, cela fait partie des choses que je vais expliquer demain. Il faut y aller tranquillement, dans l’ordre, sans précipitation. Bleu de brebis ciré, roquefort au départ, enlevé des caves quand il est blanc, trempé dans un bain de cire froide, ensuite affiné pendant 6 mois dans nos caves, sans oxygène et dans le noir. Roquefort beaucoup plus crémeux et moins salé qu’un roquefort traditionnel car il aura gardé toute son humidité à l’intérieur donc on est finalement sur la douceur d’un roquefort.

Quel serait alors le mot de la fin?

Le fromage c’est des rapports humains, c’est les rencontres qu’on fait, c’est les producteurs que je respecte et il faut qu’au bout de la chaîne il y ait des gens qui partagent ma vision des choses. La chose la plus importante pour moi c’est que demain vous veniez et vous goûtiez les fromages, et je vous raconterai 40 autres histoires devant les fromages (rires).

Interview par Maëlle Groleau.

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